A l'occasion du Forum Economique Mondial de 2008 , Bill Gates suggérait à son public de réexaminer le rôle du capitalisme. Il précisait qu'il existe deux grandes forces dans la nature de l'homme : l'intérêt personnel et le soin porté aux autres. Le capitalisme permet de contenir l'intérêt égoïste de manière salutaire et durable , mais uniquement pour ceux qui peuvent payer. Les aides gouvernementales et le recours à la philanthropie permettent de prendre soin de ceux qui ne peuvent pas payer. Mais pour améliorer rapidement la condition des pauvres , nous avons besoin d'innovateurs et d'entrepreneurs qui soient meilleurs que ceux d'aujourd'hui. Bill Gates en appellait alors à un capitalisme créatif qui aurait une double mission : faire des profits et également améliorer l'existence de ceux qui ne peuvent pas actuellement pleinement bénéficier des forces du marché. Si l'entrepreneur n'arrive pas à gagner de l'argent en faisant des affaires avec les pauvres, au moins il peut être motivé par la reconnaissance qu'il en retirera en faisant plus pour les pauvres. Il justifie par là les approches dites Bottom of the Pyramid dont C.K. Prahalad s'est fait le promoteur.
Une question reste toutefois en suspend , dans les propos de Bill Gates comme dans ceux de C.K. Prahalad . Quelle est leur définition de la pauvreté et de la richesse ? Elle est très liée au niveau de revenu par habitant dans le cas de C.K. Prahalad qui nous invite à "faire fortune" en concevant des offres de produits et de services pour les 4 milliards d'êtres humains qui vivent avec moins de $ 1500 par an.
Je doute que Bill Gates comme C.K Prahalad aient en tête l'approche par les capacités développée par Amartya Sen et Martha Nussbaum qui appréhende le développement comme un processus d'expansion des libertés réelles dont jouissent les individus. D'autres facteurs que l'augmentation des revenus déterminent ces libertés : tous les moyens qui facilitent l'éducation ou la santé tout autant que les libertés politiques et civiques comme la possibilité de participer au débat public ou d'exercer un contrôle sur ceux qui nous gouvernent.
Les femmes qui distribuent dans les zones rurales reculées de l'Inde les produits Unilever ( Projet Shakti ) ou celles qui vendent les yaourts Grameen Danone au Bengladesh voient elles pour autant reculer la tyrannie du clan, l'absence d'opportunités économiques , l'inexistence de services publics ou d'infrastructures ? Les quelques revenus qu'elles tirent de leur petit commerce leurs donnent elles plus de capacités de participer pleinement à la vie matérielle, sociale et spirituelle de leur communauté ?
Si vous avez eu l'occasion de rencontrer une des 300 000 Vindhyas qui distribuent les produits d'Hindustan Lever Ltd. votre témoignage m'intéresse.