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29 avril 2020 3 29 /04 /avril /2020 15:33
David Friedman

David Friedman

David Friedman , professeur d'économie à l'université de Chicago, considère l'Etat comme un organisme illégitime et malhonnête dans son principe. Ce qui le distingue des autres organisations de malfaiteurs c'est que les gens ont pris l'habitude d'accepter les agressions des agents de l'Etat comme choses normales voire même indispensables

L'idée centrale du libertarianisme , c'est qu'on doit laisser les gens mener leur propre vie comme ils l'entendent. Il rejette l'idée qu'il faille protéger les gens contre eux-mêmes par la force . Une société libertarienne n'aurait pas de loi contre la drogue, le jeu, la pornographie et pas de ceinture de sécurité obligatoire. Elle rejette aussi l'idée que les gens auraient un droit à faire valoir sur les autres , en dehors de celui d'être laissé en paix . Anarchistes au niveau des principes , les libertariens n'en sont pas moins des partisans du système capitaliste en ce qui concerne les moyens à employer pour réaliser la société qu'ils désirent instaurer. Dans une société capitaliste , ce sont les particuliers , associés volontairement qui contrôlent la plupart des choses.

Pour réaliser la société anarcho-capitaliste , il convient de remplacer l'ordre politique organisé par l'Etat , par les lois du marché. Dans cette perspective, les droits sont évalués selon des normes économiques et non en termes éthico-politiques. Cela signifie que l'individu achète ses droits. Le consommateur est toujours mieux éclairé , en face du marché économique , que ne peut l'être un électeur devant l'univers politique. Le consommateur en payant pour se procurer un bien , grâce au jeu de la concurrence , achète  la qualité d'une prestation ou d'un produit. Il se rend bien compte de ce qu'un produit peut valoir , alors qu'il ignore forcément ce que fera un candidat pour lequel il vote et quelle est la valeur de celui-ci.

Par l'impôt, l'Etat me force la main. Le fisc n'a pas à prendre mon argent dans le but de pouvoir me fournir des services . Il ne me demande pas si je désire ou non profiter des services en question. Il me les impose comme un voleur à la tire qui s'empare de mes biens sans ma permission.

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17 avril 2020 5 17 /04 /avril /2020 15:45

La liberté dont se réclame l'anarchisme n'a rien à voir avec le libre arbitre abstrait et illusoire que prônent tous les discours moraux et autoritaires . Dans la pensé libertaire , liberté et puissance vont de pair . La liberté tient à la puissance de ce qui est. Toute puissance est une liberté, toute liberté est une puissance , une puissance qui n'est pas coupée de ce qu'elle peut. C'est en ce sens que la liberté anarchiste est synonyme de nécessité."Dans le peuple , l'expérience intime, l'identité de ces deux aspects de la vie, la liberté et la nécessité constituent une donnée positive essentielle,, organique , comme la volonté de l'homme comme l'attraction de la matière."[Proudhon]

Monadologie de Leibniz: l'anarchisme est un monisme radical qui n'admet pas la distinction entre l'âme et le corps, l'esprit et la matière, l'homme et la nature

Monadologie de Leibniz: l'anarchisme est un monisme radical qui n'admet pas la distinction entre l'âme et le corps, l'esprit et la matière, l'homme et la nature

Les libertariens ne doivent pas être confondus avec les anarchistes de droite. Si l'anarchisme de droite renvoie à une simple attitude individuelle, rarement capable de s'inscrire dans un mouvement collectif de ressentiment , les libertariens constituent d'emblée un agencement collectif de pratiques et d'opinions qui n'a aucun rapport avec le ressentiment ou l'esprit d'imprécation très particulier des anarchistes de droite. Les libertariens présentent la soumission au marché comme l'incarnation des idées libertaires parvenues à maturité . Le marché apparaît donc comme la victoire d'une espèce de ruse anarchiste de l'histoire, accomplissant une synthèse pacifique de tous les rapports sociaux censés être uniquement appréhendés à partir de l'individu particulier .

Au regard de la pensée libertaire, l'imposture libertarienne se démasque à travers deux postulats essentiels à sa conception du monde :

  • l'identification de l'individu à un être sans qualité singulières, équivalent à tous les autres individus , radicalement coupé de toute force ou de tout possible extérieur à ce qu'exige le système qui le produit et dont il est entièrement dépendant , réduit à la pauvreté mécanique et extérieure des particules libres que présupposent et imposent les agrégats du marché , des statistiques et de la logique électorale des démocraties. 
  • L'exigence d'une main invisible , nouveau Dieu moderne, et d'un Etat minimum mais féroce et tout-puissant, souverain absolu, veillant au strict respect d'un jeu impitoyable , où , nouveaux Robinsons,  les individus aussi féroces qu'ils puissent être dans la lutte pour le profit et la réussite , mais "chair à contrat", "chair à canon"et multitudes des supermarchés , des stades et des rassemblements politiques ou religieux , " ne sont que des grains de sable , des unités de convoitises , des boules de billard pathétiques se faisant la guerre, que chaque effort pour se différencier enlise encore plus dans une grande équivalence . [Gilles Chatelet, Vivre et penser comme des porcs, de l'incitation à l'envie et à l'ennui dans les démocraties-marchés, 1998]
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15 avril 2020 3 15 /04 /avril /2020 20:35

Une révolte individuelle au nom de principes aristocratiques qui peut aller jusqu'au refus de toute autorité instituée. On ne saurait confondre cet anarchisme de droite avec le pur et simple individualisme. Il n'est pas d'avantage assimilable au non-conformisme qui reflète un mode  d'appréhension du réel en rupture avec les réactions habituelles et n'a rien à voir avec l'anarcho-poujadisme qui caractérise de nombreux personnages cinématographiques ( Delon, Gabin ...) et nous parait violent et égocentrique.

Il représente une profession de foi parfaitement déviante . Le refus de la démocratie marque incontestablement l'anarchisme de droite. Toute idéologie inégalitaire se construit en effet sur le rejet de la philosophie progressiste et sur celui de toute légitimité au principe majoritaire comme la pire des anomalies institutionnelles. La démocratie est une perversion intellectuelle et morale à rejeter sans nuance sans la moindre possibilité d’accommodement ou de compromis. Entendons par là : 

  • refus des principes démocratiques et notamment et de la loi du nombre
  • Illégitimité de la Révolution française et faiblesse du pouvoir républicain
  • rejet de l'universalisme démocratique.

Les intellectuels ont le mal du réel , ce sont des falsificateurs nés, des fauteurs d' utopie et d'irréalisme . Leur goût pour la conceptualisation au détriment de la vie représentent tout ce abhorrent et rejettent les anarchistes de droite. La première idée fausse qu'il faut combattre est l'idée progressiste c'est à dire celle que se font les démocraties du sens de l'histoire. Les grands mouvements collectifs échappent de toute manière aux hommes dans leur tenants et leurs aboutissants , ils ne déterminent aucun progrès fondamental.

L'important ce n'est pas d'accélérer ou de retarder le cours des choses; c'est d'aider à maintenir debout un petit nombre d'hommes capables de fierté.

l'homme est au fond animal et instinctif : il ne
 
l'homme est au fond animal et instinctif : il ne
 

L'homme est au fond animal et instinctif, il ne peut prendre une dimension morale vraiment humaine que s'il domine et sublime son animalité et s'il ne se soumet jamais au consensus général et à la médiocrité.

Pour les anarchistes de droite les intellectuels manquent gravement à leur mission, car non seulement ils ne remplissent pas leur rôle de guides, de maîtres à penser mais encore ils pourrissent les fondement naturels et culturels de la société

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10 avril 2020 5 10 /04 /avril /2020 16:17
NOUS DEVONS REVENIR AUX THEORIES ANARCHISTES D'AUTOGESTION

Piotr Alexeïevtich Kropotkine (1842-1921), géographe historien et publiciste russe, est le fondateur de l'idéologie anarcho-communiste et l'un des plus influents théoriciens de l'anarchisme. Après plus de 40 ans d'exil en Europe et aux Etats Unis , où il n'a jamais cessé ses activités d'écriture et de militantisme anarchiste , il rentre en Russie en 1917, à la faveur de la révolution de Février . Il salue la révolution d'octobre , puis devient de plus en plus critique face à la terreur rouge et à la dictature du parti bolchevique . Selon Kropotkine , l'anarchisme procède de la même revendication révolutionnaire et du même mécontentement populaire que le socialisme. Il voit comme un aboutissement de la révolution  l'instauration "d'un communisme sans Etat" 

Kropotkine définit sa doctrine comme un anarchisme communiste. C'est un communisme libre très éloigné du communisme collectiviste vulgaire. Il évite l'emploi du terme de "socialisme" car ce qui distingue le vrai socialisme du socialisme de contrebande, c'est l'abolition de l'Etat comme impératif politique numéro un, et en matière économique la suppression immédiate du salariat . Voulant redéfinir l'économie , Kropotkine rejette la notion de valeur-travail. Le problème central de la vie économique et sociale ce n'est pas le travail mais la consommation. En effet Kropotkine considère les besoins primordiaux par rapport à la production. Le problème le plus urgent est pour lui celui de la consommation : pour faire triompher le révolution il faut satisfaire immédiatement et abondamment les besoins de tous et la production suivra le rythme de la consommation. Kropotkine préconise l'avènement , à l'occasion de la révolution,  d'une société de consommation . Or avec le capitalisme ce ne sont plus les besoins réels de tous qui commandent la production mais le profit de quelques-uns. La révolution doit de nouveau régler la production sur la consommation . Pour Kropotkine le but suprême de la vie en société , c'est de donner à tous , après le pain, le loisir.

La division du travail enrichit surtout les riches , et les travailleurs se trouvent réduits à un rôle abrutissant alors que la société a besoin d'ouvriers intelligents et inventifs. Le pire est que les socialistes acceptent la division du travail et sa perpétuation. 

Selon le véritable esprit libertaire , Kropotkine considère la commune comme la cellule fondamentale des sociétés. Les gens d'une même commune sont dans des relations de proximité qui rendent possible, à l'intérieur de cette unité sociologique à l'échelle humaine, l'instauration de relations démocratiques en permettant aux citoyens de s'organiser eux-mêmes librement . Pour Kropotkine la coutume précède la loi. Toutes les législations contiennent deux éléments : un élément coutumier issu de la vie collective , reconnu utile par tous et un élément d'autorité , destiné à renforcer le pouvoir. Dans nos sociétés on peut constater une tradition romaine , autoritaire et centralisatrice au prise avec une tradition populaire de tendance fédéraliste et libertaire . A la veille de la révolution le conflit entre ces deux traditions devient de plus en plus aigu. Pour Kropotkine le mouvement communaliste , spontané et populaire joue un rôle important dans la constitution de la future cité . La commune telle qu'il la conçoit est une émanation directe de la volonté populaire, elle n'a rien à voir avec les municipalités modernes.

Par essence tout Etat est contre-révolutionnaire. Un marxiste dira que l'action spontanée des masses a besoin d'être organisée. C'est ainsi qu'il justifie le maintien d'un Etat populaire issu de la révolution. Invariablement un anarchiste comme Kropotkine répliquera que ce prétendu Etat n'est populaire que de nom et qu'il est l'autorité c'est à dire le tombeau de la liberté du peuple. L'Etat c'est le Mal . Non seulement il ne produit jamais rien de positif , mais encore il corrompt  nécessairement les révolutionnaires. La révolution doit rester l'affaire des masses. Les socialistes s'imaginent pouvoir résoudre le problème social en agissant à l'intérieur du système capitaliste, par voie électorale et parlementaire. En réalité leur participation ne fait que faciliter l'instauration de monopoles d'Etat. Les anarchistes doivent chercher à réaliser un transfert direct , dès aujourd'hui , des moyens de production aux mains des travailleurs.Ils doivent prendre garde de ne pas transférer ces moyens de subsistance et de production dans les mains de l'Etat bourgeois actuel. 

Kropotkine Pierre Alexéiévitch

Kropotkine Pierre Alexéiévitch

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11 juillet 2019 4 11 /07 /juillet /2019 10:09
Politique impolie

 

Nécessité de dire ce qu’ils sont. Ce qu’ils ont été.

Rendre compte par tous les moyens à ma disposition.

Faire écho aux gestes de résistance si faibles, si hésitants.

Passer de la politesse à la politique.

Du retrait dans la discrétion à la volonté de faire entendre ma voix.

Politesse du collaborateur docile.

Ne pas faire d’histoire.

Laisser la domination dont je suis victime écrire son histoire.

Armistice.

Ou bien dire le point important.

Refuser le monde tel qu’il est.

Cartographier le champ de bataille.

Affrontements.

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9 juillet 2019 2 09 /07 /juillet /2019 19:45
Issues d’une pensée critique

Tout demeure en moi, ici et maintenant.

Immanence d’une action continue et constante.

Energétique et magnétique, flux et reflux.

Vitrification d’une tête d’obsidienne.

Tout est déterminé pour moi, ici et maintenant.

             Ordre des faits nonobstant les variations de temps et de lieu.

             Séries de phénomènes antécédents et conséquents.

             Façonnage d’une tête d’argile pourpre.

Articulation de l’immanent et du déterminant.

             Retour sur sa trajectoire, vers les coulisses.

             Rupture avec la doxa, coup de bâton.

             Mise en lumière de l’impensé, la mère.

Légère fente dans la tête de bois d’une marionnette de guignol

En retrait le directeur et l'auteur dirigent les répétitions à l'abri des courants d'air.

D'après
Didier Eribon, Principes d'une pensée critique, 2016

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15 février 2019 5 15 /02 /février /2019 20:44

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4 février 2019 1 04 /02 /février /2019 17:08
Gustave Courbet, Portrait de P.-J.Proudhon en 1853, Petit Palais, Paris

Gustave Courbet, Portrait de P.-J.Proudhon en 1853, Petit Palais, Paris

 

  1. Proudhon : sa vie et son œuvre

Proudhon est né le 15 janvier 1809 dans un faubourg de Besançon au sein d’une famille pauvre et dure au travail .Il a commencé sa carrière comme bouvier à l'âge de 8 ans, puis ouvrier pour aider son père brasseur qui s’était mis à son compte. Son père était un homme droit qui refusait de vendre sa bière au prix du marché préférant s’en tenir à son prix de revient auquel il ajoutait un « juste salaire ». Pierre-Joseph s’inspirera plus tard de cette attitude pratique dans ses conceptions économiques. C’est au collège de Besançon qu’il prit conscience de la division de la société entre riches et pauvres et commença à nourrir sa passion de la justice qui tient une place centrale dans son œuvre. Ses talents ont été découverts tardivement. Doté d'une bourse, il a étudié avec frénésie pour exercer tous les métiers : typographe, bachelier à 29 ans, patron d'imprimerie, patron ruiné, fondé de pouvoir dans une entreprise de batelerie lyonnaise, philologue puis économiste. Il revendiquera son origine populaire comme un titre de gloire. Proudhon consacra sa vie à l’émancipation de ses frères et compagnons. Boursier à Paris, il y complète sa formation intellectuelle aux Arts et Métiers et au Collège de France.  C’est un étudiant assidu qui fréquente les bibliothèques. Son objectif principal sera de résoudre la question sociale ce qui ne l’empêchera pas d’avoir des mots durs vis-à-vis de la classe ouvrière qui peut se réfugier dans une forme de servitude volontaire. Son parcours témoigne de l’avènement du prolétaire à l’intelligence de sa condition. Ses  discours et écrits puiseront toujours autant dans la science économique que dans la pratique. Il meurt à Passy en 1865 en laissant une œuvre fleuve de plus de quarante ouvrages et de nombreux articles dans les trois journaux qu’il a successivement créés. Trois grands ensembles se dégagent de cette œuvre considérable :

  1. Une critique économique et sociale du capitalisme qu’il conduit jusqu’à la révolution de Février 1848.
  2. Une philosophie pratique sur laquelle il fonde sa conception du socialisme libertaire.
  3. Vers la fin de sa vie, un tableau économique et politique cohérent de ce que devrait être cette société mutuelliste et fédéraliste

Socialiste libertaire, il est un des seuls théoriciens socialistes issu de la classe populaire et ouvrière, contrairement à Marx ou à Saint-Simon qui étaient issus de la bourgeoisie.

  1. L’anarchisme de Proudhon

Son mémoire de 1840, intitulé  « Qu’est-ce que la propriété ? » fut une pierre jetée dans le jardin de la Monarchie de Juillet. A cette question il répond : « La propriété c’est le vol ». Il veut remplacer la propriété par la possession. Pour cela il faut supprimer le « droit d’aubaine » qui consiste à tirer un revenu de la propriété sans  travail. Le capital ne peut pas se reproduire de lui-même. Il y a de la propriété qui sort de la propriété sans travail. La véritable propriété liée à la notion de justice c’est la possession : une propriété de fait et non de droit. Chacun a droit de posséder « la chose » qu’il a acquise par lui-même. Si Proudhon préconise l’abolition pure et simple du droit de propriété, ce n’est pas à titre de possession de fait, mais de propriété sans limites, donc d’abus de propriété. Il n’est donc pas question pour Proudhon d’abolir toute propriété, mais de permettre leur égalité, dans un souci d’équité civile. Il s’agit en fait d’abolir la propriété issue du droit d’aubaine. Le capitaliste paie une somme de travaux individuels mais il ne paie pas la force collective. Ce surplus issu du collectif est volé. Le passage de la propriété capitaliste à la possession passe par une socialisation des moyens de production.

Les séjours de Proudhon à Lyon seront déterminants. En effet dans le sillage de la révolte des canuts de 1831 et 1834 se développent dans cette ville une association progressive des producteurs et des consommateurs au sein de sociétés mutuelles basées sur la solidarité et la réciprocité. Proudhon rencontre Pierre Leroux et Louis Blanc à Lyon, où le socialisme connait un essor pratique. Louis Blanc est un socialiste qui pense que l’émancipation ouvrière passe par l’Etat et que le prolétariat doit faire avancer ses conquêtes grâce à l’Etat. Proudhon s’oppose totalement à cette conception. Pour Proudhon la révolution économique est prioritaire et le travail est la seule source de création de valeur. Il affirme un réalisme plénier qui respecte la diversité et le développement antinomique des hommes. Sa condamnation de l’absolutisme étatique de droite ou de gauche est celle d’un totalitarisme social, système qui nie les manifestations autonomes des personnes qu’elles soient collectives ou individuelles.

Proudhon rencontrera Marx à Paris avec d’autres jeunes hégéliens C’est sur la place de l’Etat qu’il s’opposera à lui. Proudhon est méfiant vis-à-vis de tout dogmatisme et de tout absolu qui imposerait sa loi que ce soit Dieu ou le marché. A la suite de  la publication par Proudhon du  Système des contradictions économiques. Philosophie de la misère en 1846,  Marx poursuivra Proudhon de toute son hostilité et écrira souvent contre lui. Il publiera notamment en 1847 Misère de la philosophie. Réponse à la philosophie de la misère de M. Proudhon. Mais Proudhon était un penseur très connu contrairement à Marx à cette époque. Il lui répliquera en écrivant que « Marx est le ténia du socialisme » (Carnet, 24 sept. 1847).

Proudhon se  revendique anarchiste et développe à la fois une critique de la religion, de l’Etat et de la propriété dont l’homme doit s’émanciper. Il met en garde contre tout absolu susceptible d’aliéner l’homme. Que ce soit l’humanité, le prolétariat, la nation, le capital, ces absolus qui incarnent la fin de l’histoire ne font que nier la pluralité du monde et l’autonomie des êtres collectifs. Toute synthèse métaphysique, tout système d’autorité renvoie à des aliénations fondamentales : la religion est l’aliénation de la raison, l’Etat est l’aliénation de la volonté, la propriété est l’aliénation des corps.

  1. Le mutuellisme de Proudhon

Le mutuellisme de Proudhon repose sur la notion d’association et d’échange pour favoriser la circulation plus fluide des produits de façon à permettre aux ouvriers de récolter les fruits de leur travail. Il s’agit de créer des associations de production et de consommation dans lesquels les ouvriers par le collectif ne seraient pas soumis à un patron ni aux lois du commerce qui les écrasent. Proudhon parle alors d’une révolution généralisée alors qu’il s’était jusqu’alors tenu à distance de la politique.

Mais Proudhon n’est pourtant pas un bousculeur, ni un révolutionnaire violent, il ne veut pas de St Barthélemy des propriétaires. Sa grande idée est de jouer sur les contradictions du système économique existant. C’est pourquoi il va créer une banque du peuple à partir de laquelle les ouvriers pourraient se réapproprier des capitaux à un taux d’intérêt approchant zéro. C’est à partir d’une telle institution que sa révolution adviendra. Proudhon conçoit  l’idée d’une banque d’échange et à partir de 1848 il se met en quête de souscripteurs. Toutefois il ne parviendra pas à mettre en place ce projet.  

Proudhon n’est pas un homme de barricades. 1848 est pour lui une révolution qui se fait sans idée. C’est un mouvement spontané de masse qui n’a pas vraiment de projet positif pour faire la révolution économique et sociale qu’il appelle de ses vœux. Sa crainte est que cette révolution ne soit que politique et que l’on s’arrête à la question de la mise en place du suffrage universel.

Proudhon sera toujours très critique vis-à-vis des socialismes utopiques d’Owen et de Fourrier. Son projet est ancré dans le réel, selon lui il  peut être mis en actes immédiatement. La diffusion de collectifs autonomes de travailleurs et de consommateurs repose sur des effets de capillarité et des effets d’imitation. Il voit ces associations ouvrières fonctionner à Lyon et à Paris et pense que ce qu’il voit à l’œuvre peut être étendu.

  1. Le fédéralisme de Proudhon

En 1848 il obtient un mandat de député. Il juge la proclamation du suffrage universel précoce et dangereuse. A l’assemblée il fait figure d’épouvantail, on le montre comme un ennemi de la propriété, de la famille et de l’Eglise. Ce passage à l’Assemblée ne fait que conforter ses critiques de la représentation. Il participe aux débats sur les Ateliers nationaux qui ont été créé pour tenir la promesse du droit au travail. Il n’y est pas favorable bien qu’il se rende compte que leur fermeture renverrait les ouvriers à leur misère. Il ne voit pas venir les journées de juin et la violente répression qui suit la fermeture des ateliers nationaux. Il aura des mots durs sur la tyrannie gouvernementale et l’état d’exception permanent qu’elle instaure. Proudhon est très méfiant par rapport aux mouvements de masse. Dès lors que le peuple se réduit à la force d’une masse, celle-ci  peut être récupérée par un pouvoir autoritaire. Le peuple peut facilement être manipulé. La souveraineté populaire est aussi absurde que le droit divin. Proudhon est donc critique vis-à-vis suffrage universel : le plus sûr moyen de faire mentir le peuple c’est le faire voter comme un seul homme. La réalité sociologique ce n’est pas le peuple comme masse mais comme pluralité. Sa théorie du fédéralisme permet de rendre compte de ce pluralisme de la société.

Dans l’ouvrage Du principe fédéraliste paru en 1863, Proudhon s’oppose à un Etat national unifié. Il s’agit pour lui de neutraliser l’Etat par un travaillisme pragmatique et autogestionnaire avec à sa base l’atelier ou la commune. La société est censée se débrouiller par elle-même. Son fédéralisme est à la fois politique et économique. Le seul échange économique ne permet pas de tout résoudre. Le fédéralisme sans la révolution économique qui va avec, ne peut conduire qu’à une anarchie mercantile qui peut être très dangereuse. Proudhon parle d’un fédéralisme autogestionnaire avec une république élective qui organise le suffrage universel et élargisse l’élection à toutes les dimensions qui constituent la société, en particulier les décisions économiques qui concernent les citoyens notamment dans les entreprises.

L’anarchisme proudhonien ne se veut point synonyme de désorganisation ou de chaos Proudhon conçoit une anarchie positive qui consiste en un ordre naturel par opposition à un ordre artificiel imposé d’en haut, une unité vraie par opposition à la fausse unité engendrée par la contrainte. Une société de ce genre « pense, parle agit comme un homme, et cela précisément parce qu’elle n’est plus représenté par un homme, parce qu’elle ne reconnait pas d’autorité personnelle, parce qu’en elle, comme en tout être organisé et vivant, comme dans l’infini de Pascal, le centre est partout et la circonférence nulle part ». L’anarchie ce n’est pas l’absence d’ordre mais la quête d’un ordre qui ne serait pas un ordre étatique. C’est une société organisée et vivante, le plus haut degré de liberté et d’ordre auquel l’humanité puisse parvenir. C’est l’idée d’un ordre social où la société secrète ces propres normes. Il a une conception organiciste de la société. Il pense qu’entre l’individu et l’Etat, il y a la place de tout un ensemble de corps intermédiaires, de collectifs autogérés. En fait c’est le gouvernement qui par ses prétentions crée le chaos car il ne peut être relié au réel. L’anarchie c’est de ne pas avoir d’entité absolue qui gouverne tout le corps social mais que le corps social se gouverne lui-même.

  1. Agir aujourd’hui avec Proudhon

Les idées de Proudhon réapparaîtront lors du mouvement de la Commune en 1871 et à chaque période de crise  du XXème siècle. Après mai 68, il s’incarne dans les expériences autogestionnaires comme l’épopée ouvrière de l’usine Lip à Besançon. En 1973, l'usine Lip de Besançon connaît un conflit social sans précédent qui popularise l'idée d'autogestion, avec le slogan "On fabrique, on vend, on se paie". Dans la continuité des grèves de mai 1968, les salariés de l'entreprise horlogère, menacée de fermeture, occupent leur atelier, poursuivent la production et organisent une "vente sauvage" de leurs montres. Proudhon  a inspiré des mouvements altermondialistes dans les années 1990 qui reprennent ses idées sur la démocratie directe et la démocratie participative privilégiant les mouvements horizontaux sans l’autorité hiérarchique d’un chef

 La critique de la propriété par Proudhon, a nourri la réflexion sur la notion actuelle de « communs ». Popularisée par le prix Nobel d’économie, Elinor Ostrom, la philosophie des communs vise des modes de gouvernance démocratiques, fondés sur la coopération et fonctionnant sans le monopole de l’Etat ni l’emprise du marché capitaliste. Concernant la gestion des biens naturels comme la terre, le climat, l’eau, cette notion s’est élargie aux biens communs numériques (logiciels libres) puis à la chose publique. En s’opposant aux nouvelles formes d’appropriation privées et étatiques, le principe du commun articule les luttes pratiques aux recherches sur le gouvernement collectif des ressources naturelles et informationnelles.

La pensée fleurissante et riche de Proudhon est  très féconde pour aujourd’hui dans la mesure où développe l’idée d’un autre ordre que l’ordre étatique ou celui des sociétés de capitaux. Il y aujourd’hui des aspirations à des formes de coopérative et de mutuellisme qui peuvent trouver des fondements théoriques et pratiques chez Proudhon. Elles s’appuient sur le principe de l’association des travailleurs au capital et celui d’une gouvernance d’entreprise avec « un homme, une voix ». Les coopératives ouvrières de production offrent un système susceptible ainsi d’améliorer le bien-être au travail tout en offrant une viabilité à long terme.

Les aspirations à plus d’autonomie et de justice sociale sur le plan économique et politique qui s’expriment dans le mouvement des gilets jaunes rejoignent ses arguments. La question du référendum d’initiative citoyenne correspond la volonté du peuple d’avoir la possibilité de s’exprimer dans la diversité des choix de chacun. L’établissement d’une vaste fédération peut nous inspirer pour penser des formes de représentation par-delà l’Etat. En particulier une réforme démocratique et participative au sein de l’entreprise, comme alternative à  l’entreprise comme organisation verticale et despotique participant d’un capitalisme qui détruit la planète et accroît les inégalités. 

 

Indications bibliographiques :

  • Pierre Ansart, Naissance de l'anarchisme, Presses Universitaires de France , 1970
  • Jean Bancal, Proudhon: Pluralisme et Autogestion, ( 2 tomes) , Aubier-Montaigne , 1970
  • Pierre Haubtmann, Pierre Joseph Proudhon, ( 2 tomes ) , Desclée de Brouwer 1988 
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6 juillet 2018 5 06 /07 /juillet /2018 12:50
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3 juillet 2018 2 03 /07 /juillet /2018 17:14
Thorstein Veblen ( 1857-1929)  : Penser l’économie en philosophe

Veblen est né le 30 juin 1857  à Cato, dans l’Etat américain du Wisconsin, dans une famille d’agriculteurs immigrée de Norvège. La langue d'usage à la maison était le norvégien. Il garda des contacts avec la culture scandinave en séjournant en Norvège à plusieurs reprises et en traduisant en anglais des sagas islandaises. Sa famille est luthérienne, pratiquante, austère, mais Veblen devient athée. En 1884 il obtient un doctorat en philosophie de l’université de Yale. Puis il se  retire sept années à la ferme familiale. Après avoir étudié l’économie à l’université de Cornell, il enseigne à l’université de Chicago, à l’université de Stanford, à l’université du Missouri  Il change d'université et de ville à de nombreuses reprises, en partie pour des raisons sentimentales. S’étant retiré à Palo Alto, il  meurt le 3 Août 1929 d’une maladie cardiaque

 

Veblen est un économiste de formation philosophique. Il considère que tout système théorique est déterminé par un certain nombre de prémisses philosophiques qu'il ne convient pas de considérer comme acquis mais qu'il faut, au contraire, expliciter et dont on peut examiner la validité. Il va  rompre avec ces préconceptions héritées du système économique du dix-huitième siècle qui font de l’économie une discipline inadaptée à la compréhension des ressorts du système économique moderne.

La théorie institutionnaliste de la firme développée par Thorstein Bunde Veblen (1857 – 1929)  rompt avec la vision de la firme comme fonction de production. En effet elle rejette l’individualisme méthodologique car les interactions individuelles ne peuvent suffirent à comprendre l’émergence, la pérennité et la pérennité de l’ordre social.

  1. Promouvoir une science économique évolutionniste

Dans un article devenu classique “Why is Economic not an Evolutionary Science?” Thorstein Veblen (1898) va contester les modèles économiques classiques et marginalistes en raison de l’irréalisme de leurs hypothèses et de leur de leur négligence des forces historiques et culturelles qui façonnent les réalités et les processus historiques.

Pour Veblen l’économie est une science  qui doit viser à la compréhension et à l’explication de l’évolution et de la croissance des institutions socioéconomiques.  La réalisation de cet objectif passe par l’utilisation des catégories du darwinisme, selon lesquelles le processus de « sélection naturelle » est également opérant au niveau culturel et économique.

Dans la mesure où pour lui l’économie a pour but de théoriser le processus de genèse, de croissance et de changement institutionnels. Les questions relatives à la cause première et à la finalité ultime sont rejetées hors du champ scientifique.

Veblen considère que la théorie néoclassique est incapable d’expliquer la croissance économique et les crises. L’homo œconomicus est appréhendé comme un atome passif, faisceau de désirs, calculateur de plaisirs qui ne correspond pas à la réalité anthropologique. Il critique les analyses et des théories de l’école marginaliste américaine et de son principal représentant John Bates Clark (1847-1938). En effet l’école marginaliste, comme l’école classique repose sur une conception hédoniste et utilitariste de l’homme qui systématiquement recherche le plaisir et fuit la peine. Les marginalistes comme les classiques, font l’hypothèse de lois naturelles s’appliquant à un ordre statique qui n’explique pas la vie économique réelle. Or la psychologie de l’homme est complexe et changeante.

Veblen souhaite que la recherche sociale soit conduite avec les principes de la science moderne et notamment ceux de l’évolutionnisme darwinien. Les principes de variation, sélection et d’hérédité s’appliquent aux institutions, aux habitudes de pensée comme aux êtres vivants.

« Il existe une différence d’attitude spirituelle ou de point de vue sur les faits entre les scientifiques réalistes d’hier et la science évolutionniste. La science moderne ne se départit pas d’une évaluation de l’enchainement des faits et de leur causalité cumulative. Dans la perspective classique un processus, une séquence de faits et d’évènements doivent être appréhendés en regard de leur propension à tendre vers une finalité d’ordre spirituel. Toute cause qui se met en travers de la propension des événements à tendre vers une finalité est un facteur de perturbation. Les scientifiques de cette tradition tendent à formuler les connaissances en termes de vérité absolue, cette vérité absolue est un fait spirituel. La trajectoire de propension de la science va de l’animisme à la métaphysique en passant par les lois naturelles et les droits naturels » (Veblen, 1898).  L’économie utilise encore trop largement les notions de « naturel », « normal », de « tendance » », de « principes directeurs » de «  causes perturbatrices » pour pouvoir être considérée comme une science évolutionniste. Les économistes classiques partent d’une préconception du monde qui impute aux choses une tendance à se déployer selon les finalités qui sont dans leur nature. En fait cette préconception impute aux choses la projection d’un idéal de conduite. Cet idéal de conduite sert de vérité canonique, dans la mesure où le chercheur se contente de légitimer son analyse par des prémices qui proviennent des  faits qu’il cherche à analyser, par des principes directeurs qui sont conçus de façon intangibles pour souligner le processus qu’il étudie, par des tendances de fonds sur lesquelles se dessine ce qu’il observe. Ainsi lorsque la monnaie est caractérisée comme un moyen d’échange, l’économiste en discute en regard de sa finalité dans le « cas normal », c’est-à-dire de ce qui est pour lui l’idéal de la vie économique.

Veblen reproche aux économistes néoclassiques comme Alfred Marschall (1842-1924)  leur biais téléologique et leur postulat du progrès. En effet ils prétendent que la structure du monde social est telle, que tout évènement peut être rationnellement prédit, au degré de précision voulu, à condition qu’une description suffisamment précise des évènements passés, ainsi que de toutes les lois de la nature, nous soient données. Ils tendent à confondre l’approche normative et les analyses factuelles. Ils inventent la métaphore d’un stade originaire d’une société de chasseurs cueilleurs et du troc afin de justifier leur position normative. C’est ce qui conduit Adam Smith dans Richesse des nations, à caractériser la monnaie comme « la grande roue de la circulation, tout à fait différente des marchandises qu’elle fait circuler. » Veblen met dans le même sac la conception de l’économie d’Adam Smith, comme évoluant vers l’équilibre sous l’effet d’une loi naturelle et d’une main invisible et la théorie de l’équilibre général selon laquelle les économies tendent normalement vers un équilibre comme n’étant pas plus rationnelles que la représentation métaphysique d’une cause finale. Quant aux économistes qu’il qualifie de néoclassiques, ils s’en tiennent aux contraintes posées par les conditions économiques, sans s’interroger sur la transformation cumulative et la diversification des activités humaines qui résultent du changement dans les institutions.

  1. Le rôle central des institutions

Veblen exprime le lien entre la place centrale accordée aux institutions et l’approche évolutionniste qui s’attache avant tout au processus du changement économique. Il souligne qu’à son époque l’économie n’est pas une science évolutionniste c’est-à-dire une théorie considérant un processus dépourvu d’origine comme de finalité, mais fondé sur la causalité cumulative. Pour lui  l’économie est une taxinomie incapable de rendre compte des processus de changements cumulatifs qui sont à l’œuvre dans le cours des activités humaines. L’économie classique nous donne une description de comment sont les choses quand elles sont stables mais ne fournit aucune information sur le processus de changement. Dans l’économie conventionnelle, les notions de lois naturelle, d’équilibre de causes perturbatrices débouchent sur un système de taxinomie économique à propos des relations normales entre les choses lorsqu‘elles sont stables. À l'instar des économistes classiques, les marginalistes ne font que produire une science "taxinomique" consistant en la définition et la classification des phénomènes de la vie économique en fonction d’un système concurrentiel hypothétiquement parfait.

La démarche des économistes classiques et néoclassiques s’apparente en fait à l’évolutionnisme de Lamarck, c’est-à-dire au transformisme, qui conduisait à un déploiement de la vie selon un plan déterminé, celui de l’équilibre général dont la modélisation sera achevée en 1954  par  Arrow et Debreu. Le transformisme postulait l’origine de la vie sur Terre consécutive à une génération spontanée, une progression graduelle des organismes les plus simples vers les plus complexes ou organisés – soit l’Homme, dans la vision de Lamarck - pour expliquer les transformations des êtres vivants. De même que Lamarck faisait appel à une intervention surnaturelle, les économistes classiques font appel à un ordre naturel exogène selon lequel l’économie se développe nécessairement vers un équilibre stable prédéfini. Ils ignorent l’évolutionnisme de Darwin pour qui la sélection naturelle et le passage du temps jouent un rôle fondamental dans les variations et les probabilités de voir une forme de vie ou d’institution  particulière  émerger et se développer.

 

  1. Une anthropologie économique du vivant

Veblen reproche aux économistes anglais comme à l’école continentale autrichienne une conception de l’homme vu comme un être hédoniste calculant ses plaisirs et ses peines, ou comme un atome sans antécédents ni successeurs qui se meut sous l’effet de forces extérieures. L’erreur fondamentale de ses deux écoles est de postuler une nature humaine, immuable passive et inerte. La conception de l’économie classique est largement influencée par le modèle de la physique newtonienne et de la mécanique. Or pour Veblen, la théorie économique doit avoir pour objet l’action économique c’est-à-dire les processus vivants. Elle doit plutôt s’inspirer de la biologie. Certes nos vies individuelles se déploient de façon téléologique, c’est-à-dire qu’elles visent des objectifs, mais ces derniers ne sont pas immuables. L’activité économique des individus est un processus cumulatif d’adaptation des moyens par apprentissage mais également d’adaptation des finalités à l’environnement qui changent au fur et à mesure que le processus se déploie, l’agent comme son environnement étant à tout moment le produit de ce processus. Veblen refuse l’idée qu’il puisse y avoir une tendance légitime vers une finalité prédéterminée. Il critique ainsi l’approche finaliste normative de la science économique classique et néoclassique qui est contraire à son approche évolutionniste de la société. L’économie est un ensemble évolutif d’institutions qui sont les habitudes de pensée et d’action dominantes dans la société.  A long terme, le changement institutionnel est endogène au mouvement économique et non un facteur exogène impactant un quelconque déterminisme historique.

La notion de causalité cumulative est ici centrale.  Elle implique une approche séquentielle du changement, marquée par un temps irréversible et le caractère cumulatif des transformations successives. Mais à la différence de la conception linéaire et déterministe de la causalité, la causalité cumulative comprend une boucle de rétroaction de l’effet sur la cause. Les institutions constituent un objet mais aussi un facteur de sélection dans le processus évolutif de Veblen. Veblen se distingue tant de l’individualisme méthodologique que du l’holisme méthodologique. Les institutions résultent des actions humaines mais elles les conditionnent à leur tour. L'apport essentiel de la première tradition institutionnaliste incarnée par Veblen est de considérer que si ce sont bien les interactions entre individus qui conduisent à la formation des institutions, ces dernières influencent en retour les finalités et les préférences individuelles.

Il ne faut pas considérer les individus, leurs préférences et leurs désirs comme donnés mais considérer que ce sont les interactions entre individus qui conduisent à la formation des institutions, et que ces dernières influencent en retour les finalités et les préférences individuelles. Les institutions ont un pouvoir dual sur le comportement individuel  qui est à la fois contraint et facilité par elles. Leur pouvoir normatif donne forme aux aspirations individuelles et les modifient. La conception évolutionniste s’appuie sur une ontologie de la réalité sociale stratifiée à trois niveaux (valeurs, normes, règles) et sur des phénomènes d’émergence. Une propriété peut être qualifiée d'émergente si son existence et sa nature dépendent d'entités situées à un niveau inférieur, et si cette propriété n'est ni réductible aux propriétés des entités situées au niveau inférieur, ni prédictible à partir de ces dernières.

L’intérêt collectif devient une propriété émergente de l’institution entreprise dès lors que la menace qui porte sur chacune les hommes et leurs des associations nécessite de considérer à nouveau frais les valeurs directrices de l’architecture dogmatique. Face à la guerre et à l’arbitraire du XVIIIème siècle, les hommes du XIXème siècle ont intégré les normes d’émancipation de l’humanité dans leurs associations industrielles.  Face la politique totalitaire de la technique et à Gaïa, les hommes du XXIème siècle intègrent des normes de développement durable au sein de leurs associations productives.

 

  1. Pouvoir de l’instinct prédateur

 

Dans cette perspective, il convient de bien prendre en compte que c’est la force du pouvoir dogmatique  qui joue un rôle déterminant dans la formation des revenus. Les revenus ne sont nullement des produits créés par ceux qui les reçoivent mais ce sont des paiements pris sur la communauté de travail grâce à l’action d’une pression. Ainsi, le prix d’une œuvre d’art est indexé sur le pouvoir d’achat du collectionneur pris dans le désir mimétique et accessoirement sur le travail de l’artiste et de son agent.  Loin d’être un monde d’harmonie et d’équilibre, la société est, depuis l’origine, le théâtre de conflits et de dominations. Loin d’être un calculateur rationnel et hédoniste, l’homme est mû par des instincts et des pulsions irrationnelles. Un des instincts primitifs les plus importants est l’instinct prédateur qui mène à l’appropriation du surplus économique par une minorité oisive. Il est le fait de la « Classe de loisir » qui s’adonne aux activités sportives, religieuses, à la guerre et au gouvernement (Veblen, 1970). Dans la société moderne, l’instinct prédateur prend la forme de la rivalité pécuniaire et la consommation ostentatoire. A l’instinct prédateur correspond dans l’économie moderne la multiplication des  crises mimétiques liées à l’imitation des désirs,  caractéristique d’une société où le consommateur s’est substitué au citoyen.

A L’instinct prédateur s’oppose, l’instinct laborieux, la propension à la curiosité gratuite et l’instinct parental qui sont les moteurs du progrès économique, social et scientifique. L’instinct laborieux correspond dans l’économie moderne à l’industrie. L’industrie se caractérise par le rôle central du machinisme. Le but de l’activité industrielle est la fabrication de produits en vue d’améliorer le bien-être de la population. Or dans le capitalisme moderne les activités industrielles sont menées dans le cadre d’entreprises d’affaires. Ces entreprises investissent en vue d’obtenir un gain financier. Leur finalité est de produire du profit et n’est pas de fournir des objets ou des services. A l’origine du capitalisme l’entreprise était dirigée par un véritable industriel motivé par l’instinct artisan. Après la première guerre mondiale, Veblen décrit les effets de la séparation entre la propriété et la gestion des entreprises notamment les crises économiques et le chômage qui sont le produit du freinage de l’industrie que la propriété du capital exerce sur le système des prix. Pour sortir de cette impasse, Veblen espérait une prise de contrôle de l’industrie par les véritables porteurs de l’instinct laborieux, les techniciens, les ingénieurs, alliés aux travailleurs manuels. Les dominés pourraient abandonner leur attitude déférente envers les hommes d’affaires qui sont des possesseurs absentéistes et tenter de construire un nouveau régime social technocratique.

Pour Veblen, l’évolution ne tend pas nécessairement vers l’harmonie. Sa  théorie économique et sociale repose sur la prise en compte de la diversité des comportements sociaux. Ceux-ci peuvent s’expliquer par la coexistence de divers instincts (l’instinct de travail, l’instinct social ou grégaire, la curiosité désintéressée et la prédation). C’est pourquoi  dans son évolution, la société - dont le moteur est à la fois les actions humaines, les schémas de pensée et le milieu matériel - peut tendre à la fois vers le conflit ou l’harmonie. L’évolution selon Veblen n’est pas donc explicable par une tendance intrinsèque à chercher l’harmonie mais bien plus par l’adjonction de différentes tendances qui prennent en compte l’existence durable du conflit.

 

Bibliographie selective

 

Veblen, T. (1898). Why is Economics not an Evolutionary Science ? Quarterly Journal of Economics, 12(4), 373-397.

Veblen, T. (1970). Théorie de la classe de loisir. Paris: Gallimard.

The Veblen Project : l’œuvre complète de T. Veblen en ligne

 

 

 

 

 

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